"La femme qui aimait trop", une autofiction d'Érica D. (alias Fisher-Chouinard)

Rayon: Littérature 
Genre: hybride
Cible: femmes malheureuses en couple, fans d'Éric Lapointe

Hier, une collègue est arrivée dans mon bureau avec en main le dernier livre de Marc Fisher. Le traitement documentaire de ce livre a suscité quelques discussions professionnelles entre collègues bibliothécaires et bibliotechniciennes. 



Quiproquo éditorial et genre hybride 

« Bib A – J'ai entendu dire que ce n'est pas une biographie, mais  plutôt un ROMAN inspiré de la vie de Mélanie Chouinard avec Éric Lapointe, mais pas écrit par elle… Donc, est-ce que je mets Mélanie Chouinard comme sujet?  

Bib B – Non, le personnage s'appelle Érica D., donc tu ne peux pas mettre Mélanie Chouinard en sujet...

Bib C – Est-ce qu’on doit la mettre comme auteur secondaire alors? C’est seulement Marc Fisher qui est présenté comme auteur sur la page de titre, mais il y a la photo de Mélanie Chouinard en arrière comme si elle était auteure aussi... Elle a fait quoi exactement là-dedans?

Bib B –  En fait, d’après ce que j’ai compris, c'est elle qui a commencé à écrire le livre et c'est comme ça qu'elle a rencontré Marc Fisher qu'elle a épousé l'été dernier... Il a remanié le livre pour en faire une fiction. Partout elle parle du livre comme SON roman et elle signe les dédicaces... J'ai lu tout ça sur leurs pages Facebook!

Bib A et Bib C– Ah ouin!!!

Bib B – Alors comme le nom de Mélanie Chouinard est présent sur la page de titre en tant qu'inspiratrice, on peut se permettre de la considérer comme une collaboratrice et de mettre son nom en 700. On déroge un peu des règles de catalogage, mais sinon son nom n'apparaitrait nulle part dans les catalogues bibliographiques... et elle serait juste une écrivaine fantôme...» 

Je suppose que tout ce quiproquo éditorial vient du fait que l'auteur et son '"inspiratrice" ont voulu se protéger de toutes poursuites éventuelles pour diffamation ou atteinte à la vie privée. Finalement, on peut dire que la vraie auteure du livre, c'est Érica D. Il s'agit de son histoire, de sa perception et son point de vue des choses. La femme qui aimait trop, une autofiction d'Érica D.: voilà qui est clair! Un personnage fictif peut être un auteur. Il y a même des chiens qui sont parfois auteurs de romans! À travers les médias et la publicité, les lecteurs auraient rapidement deviné que derrière Érica D. se cachent Marc Fisher et Mélanie Chouinard. La vedette là-dedans, c’est toi chère Érica D. et c'est ton nom et ton visage qui auraient dû logiquement apparaitre sur la couverture du livre! 

Tout cela entraine un genre littéraire flou, hybride, puisque le livre est un mélange mal défini d'autobiographie, de roman biographique, de roman à clés (chaque nom de personnage est une devinette...), de roman psychologique et de roman sentimental. 

Dame de coeur contre roi de pique
 
Les artistes torturés font des bons héros de fiction mais pas des bons amoureux. Voilà la morale de l'histoire de La femme qui aimait trop. J’ai ressenti un grand sentiment de curiosité mêlé à un profond malaise en lisant ce livre : malaise de rentrer dans l'intimité - même soi-disant fictive à 25% - d'une star québécoise; malaise devant les ravages de l'alcoolisme et de la notoriété; malaise devant les complexités souvent douloureuses de l'amour; malaise devant la grande détresse psychologique des deux protagonistes, Érica D. et Billy Spade. 

Et malaise aussi en regardant la page couverture : Mélanie C. en gros plan, resplendissante et lumineuse (il s’agit de la photo de profil de sa page Facebook…) et en petit, la silhouette noire d’un Éric L., écrasé, dans le coin, dans l’ombre, là malgré lui. C'est une bataille entre la dame de cœur et le roi de pique, mais à la fin, le doute plane, aucune certitude n’est mise sur la table. Alors on se dit que c’est peut-être plutôt la dame de pique contre l’as de cœur. Que, peut-être, toute cette histoire de tromperies amoureuses et financières n’est qu’une affaire de manipulation de vautours jaloux et/ou de fabulations de la part de la narratrice. 

Les monstres narcissiques
 

Billy Spade, sous l'emprise perpétuelle de l’alcool, est un personnage narcissique, égoïste et manipulateur. Je ne peux m’empêcher de faire le rapprochement avec un autre livre qui est sorti dans la même semaine d'octobre 2015: Le monstre d’Ingrid Falaise. Alors que La femme qui aimait trop est un roman qui se lit comme une autobiographie, Le monstre est une autobiographie qui se lit comme un roman. 

Ingrid Falaise, actrice québécoise, n'a pas eu besoin de se cacher derrière un subterfuge parce que le monstre en question est juste un "nobody" qui, de plus, a été expulsé du Canada. Son témoignage est tout à fait poignant. L'histoire se rapproche de celle d’Érica D. et suscite le même genre de malaise. Ces "monstres" dépeints ont toutes les caractéristiques de la perversion narcissique, un trouble de la personnalité. Les pervers narcissiques se retrouvent souvent dans la littérature et le cinéma, parce qu'ils sont des personnages fascinants et troublants. Mais dans la vie réelle, ce sont de véritables machines à destruction psychologique, qui peuvent aller jusqu’au meurtre. Ou au suicide de la victime.

Alors, chère Érica D. et chère Ingrid F., la brune et la blonde, vous êtes deux belles femmes sensibles et généreuses qui ont eu le courage de témoigner chacune à votre manière de votre douloureuse histoire d’amour. L'écriture est un excellent exutoire. Cela demande du courage de se mettre ainsi à nu et de partager ses tourments intimes.  

En conclusion, je dirais que ces deux livres répondent avant tout à une démarche thérapeutique et peuvent éventuellement aider d'autres femmes à mieux comprendre le mécanisme de relations amoureuses toxiques.  

Extrait de la notice bibliographique en format MARC de "La femme qui aimait trop" de Marc Fisher

Source: Services documentaires multimédias

Pour finir, je voudrais aussi mentionner qu'une biographie "non autorisée" d'Éric Lapointe, écrite par Jacques Lanctôt, est sortie ce même mois d'octobre 2015 aux éditions Les Intouchables. À quand la vraie de vraie biographie autorisée? Ou encore mieux la vraie autobiographie???


16 janvier 2016 - Éric Lapointe qui avait gardé le silence jusqu'à date concernant ce roman s'est confié - durement - à Marc Cassivi de La Presse:

“Je n’ai jamais voulu commenter ce livre-là parce que c’est complètement de la connerie. Ce n’est pas la pire erreur de ma vie, parce qu’elle m’a donné deux beaux enfants. Mais c’est ma pire erreur de jugement. C’est une femme qui a vu des tapis rouges lui passer sous le nez et qui a voulu se rattraper en exploitant, en inventant même ou en surchargeant un personnage. Elle s’est défoulée en me faisant passer pour un méchant. Ce n’est pas moi du tout ! Ce que je trouve dommage, c’est que mes enfants vont lire ça un jour. Elle raconte que je ne voulais pas d’eux. Je ne voulais pas lui donner de la publicité gratis parce qu’elle ne la mérite pas. Michel Brûlé a publié en même temps une biographie (Éric Lapointe de Jacques Lanctôt) qui est une chronologie d’archives. Je n’ai pas de problème avec ça. Mais quand je vais écrire ma propre biographie, elle n’aura même pas droit à un paragraphe.”

Dur, dur !!!

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FISHER, Marc. La femme qui aimait trop. Marieville, Qc : Les Éditeurs réunis, 2015. 
FALAISE, Ingrid. Le monstre. Montréal, Qc : Libre Expression, 2015.
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Un autre article à lire: 
 
#bébéatrice: un père et une fille

La Gazette de Lau, 2015.