samedi 10 octobre 2015

Virgile Stark, un cochon papivore au crépuscule des bibliothèques


"Crépuscule des bibliothèques" de Virgile Stark. Paris : Les Belles lettres, 2015

Rayon: Bibliothéconomie et sciences de l'information.
Genre: Essai.
Cible: Public averti.

Citation (quatrième de couverture): «L'autodafé symbolique a commencé. La nuit tombe sur l'esprit. Une fournaise barbare s’élève dans le pâle horizon de la culture. Le papier brûle. Les livres brûlent. Nos livres. Nos bibliothèques, emportées par la Vague numérique. Sur leurs ruines, on construit des «troisièmes lieux», des «hyperlieux», des «learning centers», des «bibliothèques 2.0». On ne jure que par la «dématérialisation». Tout doit être immolé d’urgence à l’Écran Total; et tant pis si la civilisation de l’imprimé s’effondre, tant pis si les lecteurs sont consumés par la flamme innovante. Le Progrès n’est pas nostalgique. On oubliera. On peut tout oublier. Qui regrettera le passé? Il n’y a plus de «temples du savoir», mais des biblioparcs où l’homme moderne assouvit son besoin de distractions; il n’y a plus de «gardiens du Livre», mais des techniciens enragés, fossoyeurs de leur propre héritage.»

En tant que bibliothécaire "ancienne génération", je me suis régalée à la lecture de cet essai - ou plus exactement ce pamphlet - qui parle du déclin des bibliothèques et du rôle en grande mutation des bibliothécaires. Raconté dans un style riche et incisif, avec un sens grinçant de la dérision, l'essai se dévore comme un roman tant le narrateur-bibliothécaire qui se décrit lui-même comme "archaïque", "gauchiste du book" ou "cochon papivore" devient un personnage romanesque parfois au bord de la caricature. L'auteur, lui-même bibliothécaire, qui publie sous le pseudonyme de Virgile Stark, regrette le rôle traditionnel du bibliothécaire au profit du "bibliothécaire 2.0" qui ne pense qu'en matière de numérique et de dématérialisation. Dans le milieu du livre, c'est actuellement la guerre froide du "book" contre le "e-book". L'auteur s'exprime avec passion et conviction, mais sa vision de l'avenir des bibliothèques est selon moi plutôt pessimiste voir même par moment de l'ordre de la science-fiction. Personnellement, je ne crois pas à la mort prochaine du livre papier au profit du livre numérique. Pas au Québec en tout cas. Je crois plutôt à une cohabitation respectueuse du livre papier et des supports numériques, laissant le choix à l'usager, selon ses goûts, ses humeurs ou ses besoins. On peut dire en effet que les bibliothèques disparaissent mais elle sont avantageusement remplacées par des grandes "médiathèques" que Virgile Spark appelle un peu péjorativement des "biblioparcs".

Il est vrai que le "bibliothécaire 2.0" est très éloigné du personnage érudit et humaniste des bibliothèques d'autrefois. D'ailleurs, l'auteur définit bien le travail du bibliothécaire du 21e siècle: 

«Que fait le bibliothécaire aujourd'hui? J'ai souvent remarqué que les personnes extérieures aux bibliothèques s'imaginaient que je devais "lire beaucoup" - non seulement à titre personnel, mais aussi pendant mes heures de travail [...]. Non seulement le bibliothécaire d'aujourd'hui ne lit pas mais parfois ne touche même pas, ne voit même pas un livre de sa journée, tant il est vrai que son action de passeur entre le livre et le public a été rendue caduque par la massification des fonds et par l'adoption généralisée de la démarche technicienne. Je n'ai même pas le souvenir d'avoir une seule fois donné un conseil de lecture à quiconque (je ne parle pas d'orientation bibliographique, mais de partage d'enthousiasme) [...]. Nous sommes devenus des mécaniciens, des professionnels de l'écran, des fignoleurs de rouages virtuels, quel que soit l'endroit où nous exerçons notre métier [...]. L'informatisation, surtout, a contribué à fragmenter, isoler et complexifier nos tâches, de telle sorte que tout employé d'une bibliothèque ne puisse plus être autre chose qu'un individu assis devant son ordinateur [...]. En quoi le métier de bibliothécaire se distingue-t-il aujourd'hui d'un autre métier en milieu informatisé? En rien à vrai dire. Le bibliothécaire fait comme tout le monde: il allume son unité centrale, puis il tape sur un clavier et manipule sa "souris". Il clique. Il navigue. Il googlise. Il imprime. Il crée des documents. Il ouvre des documents. Il enregistre des documents. Il remplit des tableaux. Il remplit des cases. Il remplit des champs. Il remplit des bons de commande. Il envoie des messages. Il lit des messages. Il fait suivre des messages. Il joint des PDF. Il nettoie sa messagerie. Il appelle la Cellule informatique. Il attend. Il saisit des données. Il modifie des données. Il entre des codes. Il génère des rapports. Il attend. Il fusionne des rapports. Il attend. Il comptabilise. Il compare. Il valide, puis il éteint son unité centrale.»

Étant bibliothécaire catalogueuse-classificatrice, je travaille dans le secteur du traitement et de l'analyse documentaires. Mes journées de travail ressemblent en gros à ce que décrit Virgile Stark. Par contre, j'ai encore la chance et le privilège de pouvoir toucher, feuilleter et manipuler des livres. Mais c'est un contact purement professionnel alors je ne peux pas dire que je lis vraiment. Le livre n'est dans mon travail qu'une marchandise en transit. Le produit final n'a rien de très littéraire (voir ci-dessous la notice bibliographique codée en format MARC, qui remplace la petite fiche cartonnée de jadis)... Oui, c'est un travail de "mécanicien" comme le dit si joliment et justement notre cher Virgile (Stark)...



Source: BANQ-SQTD


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Stark, Virgile. Crépuscule de bibliothèques. 
Paris : Les Belles lettres, 2015. 
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La Gazette de Lau

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